dimanche 18 mars 2012

En questionnant... André Frossard, Libéralisme ou socialisme ?


Les hommes n'ont le choix qu'entre deux grands systèmes sociaux et politiques, le libéralisme et le socialisme.
Le libéralisme est un empirisme qui s'en remet à la loi du marché, dite aussi de l'offre et de la demande. Il fait confiance à l'initiative privée, à l'esprit d'entreprise, et, comme il a pour ressort l'intérêt personnel, que cet intérêt est servi par des aptitudes ou des ambitions plus ou moins grandes, il engendre des inégalités qui font progresser la société au détriment de la justice.
Le socialisme appelle précisément ces inégalités des injustices, et il se fait un devoir de les corriger en limitant étroitement l'initiative individuelle, ce qui a pour effet de faire baisser le niveau de vie général, un escalier égalitaire ne montant pas très haut.
Il faut donc choisir entre un système qui enrichit les plus aptes tout en laissant quelque bénéfice aux autres, et un système qui se veut plus satisfaisant pour la morale, mais qui a de moins en moins de richesse à partager. Jusqu'ici, personne n'a réussi à combiner de manière satisfaisante les avantages de l'un et l'autre régime.
Cependant, l'on parvient assez souvent à additionner leurs inconvénients.
Le libéralisme et le socialisme sont deux matérialismes, l'un pratique, l'autre doctrinal, qui ne peuvent corriger leurs défauts qu'en se dépassant eux-mêmes, le premier en s'employant à changer ses sociétés anonymes en sociétés de personnes, le deuxième en réfrénant la tendance qui le porte à intervenir de manière despotique dans tous les domaines où la liberté lui paraît aller contre l'égalité.
La personne humaine est traitée en ennemie par les deux systèmes avec, toutefois, une férocité inégale. L'un la soumet à la loi de la réussite, qui endurcit les cœurs, ou les humilie ; l'autre la contraint à une obéissance que le totalitarisme (aboutissement fatal de toutes les idéologies) rend dégradante.
Ces deux formes d'abolition de la personne ne sont pas satisfaisantes pour l'esprit, et il faut toujours, selon le mot de Simone Weil, se tenir prêt à « changer de camp avec la justice ».
André Frossard, in L’homme en questions