mercredi 5 décembre 2012

En souffrant... Maurice Zundel, Le chrétien devant le mal


Le 15 janvier 1975, l'abbé Zundel donnait une conférence dans le cadre de rencontres de catéchèse d'adultes à Genève sur « Le chrétien et le mal ». Peu après, il était victime d'une embolie cérébrale qui le rendit en grande partie aphasique et qui le conduisit tout doucement à la mort.
Cette conférence est émouvante. Il y exprime avec véhémence, avec passion, avec une vigueur inentamée ses convictions les plus profondes sur le problème du mal, sur l'innocence de Dieu, sur la souffrance de Dieu, victime du mal, sur le rôle de l'homme, qui par son action et sa sainteté, peut protéger Dieu.
C'est comme une dernière confidence que nous entendons ici.
Marc Donzé.

Comme j'avais fait au Caire une conférence sur le message de « La Peste » de Camus, ce texte ayant été communiqué à Camus tout à fait à mon insu, il me fit l'honneur de m'envoyer cette lettre :
Mon Révérend Père,
Je dois au Père Moos à qui je confie ce mot d'avoir lu le texte de votre exposé sur le message de « La Peste ». J'aurais aimé pouvoir en discuter longuement avec vous, mais le problème du mal, car c'est de lui qu'il s'agit, est sans doute inépuisable avant l'option. Je voudrais m'en expliquer un jour rigoureusement, et je trouverais alors une aide dans votre exposé.
Dans tous les cas, l'esprit de sympathie avec lequel vous avez considéré mes efforts m'a touché plus que je ne saurais le dire.
Voulez-vous croire à ma sincère gratitude et à mes sentiments déférents.
Ce grand écrivain, ce grand homme, ce grand penseur a été, il le dit lui-même, envahi par ce problème du mal ; il l'a exposé de différentes manières et il ne semble pas malheureusement qu'il soit parvenu à le résoudre pour son compte. La mort l'a pris trop tôt, puisqu'il est mort à 47 ans en 1960 dans l'accident que vous connaissez. Mais cette lettre nous introduit dans toute la gravité de ce sujet et commande notre modestie pour l'aborder. Si un esprit aussi profondément sincère que Camus n'est pas arrivé à une solution, c'est qu'il s'agit là d'un mystère difficilement pénétrable.
Essayons donc un peu à tâtons de nous acheminer au cœur du problème en nous rappelant, pour nous donner une ligne de pensée, une définition aussi simple que possible du mal qui est « la privation d'un bien dû », ou d'une perfection due, ou d'une dimension d'être exigible : rien de plus simple d'ailleurs à comprendre. Prenez le cas de Denise Legris, née sans membres : c'est un mal parce que normalement un enfant qui naît doit être doué de ses membres ; de même qu'un enfant qui naît aveugle ou sourd, ou dont le cœur est mal formé, nous disons qu'il est atteint par un mal, et que cela est un malheur, parce que sa nature comporte une intégrité qui, dans le cas donné, n'est pas réalisée. Évidemment, le champ du mal est infiniment étendu selon tous les degrés de l'existence. Autant de maux qu'il y a de privations du bien dû, du bien que l'on est en droit d'attendre, de la perfection qui est conforme à une nature donnée.
Nous sommes évidemment immédiatement confrontés avec le mal physique que nous percevons sous l'aspect de douleur : disons que la douleur est en soi un avertissement, elle nous fait prendre conscience d'un désordre dans notre organisme, mais nous la percevons surtout sous l'aspect où elle nous fait mal, bien plus que sous l'aspect où elle signale une déficience de notre organisme, tellement d'ailleurs que si l'on arrive à supprimer le sentiment de la souffrance, l'être a le sentiment d'être délivré du mal, bien qu'il puisse au contraire être au plus mal, son organisme, étant rongé d'une manière définitive et irrémédiable. Vous connaissez tous les maux qu'on peut rencontrer dans un hôpital. Vous connaissez les ravages du cancer, les tumeurs du cerveau, les infarctus, les ravages du choléra, de la peste, de la lèpre ; et plus profondément encore, la misère effroyable des maladies mentales. Inutile d'insister puisque votre expérience ici en sait très long et que votre compassion, votre sympathie pour l'univers souffrant vous donne des antennes et vous permet de percevoir combien en effet le règne de la douleur est étendu, — on pourrait dire consubstantiel à la vie humaine —. Vivre humainement c'est inévitablement souffrir, mais nous ne sommes pas au bout puisque finalement le bout c'est la mort, une mort à laquelle nul n'échappe, la mort qui est ce qu'il y a de plus irrémédiable, ce qu'il y a de plus inacceptable. On en fait l'expérience dans une mort subite, où tout d'un coup un être cher avec lequel on dialoguait s'effondre, et qu'il n'y a plus qu'un cadavre. Cette rupture brutale d'une présence, jusqu'alors admirablement sensible, a quelque chose d'intolérable qui vous donne le sentiment d'un désordre profond. Cela ne veut pas dire d'ailleurs que parmi tous les maux physiques que je viens très brièvement de rappeler tous soient irréductibles au bien : il y a des maux par bonheur qui, selon la qualité des êtres, deviennent sources de vie, et sont donc profondément réductibles au bien. Le livre de Denise Legris « Née comme ça », où cette femme privée de membres, arrivant à écrire avec ses dents, à coudre, à se mouvoir, à gravir un escalier et à le redescendre, à tenir une maison, s'achève par un cantique d'action de grâce. Elle a pu découvrir à travers ce malheur qui paraît irrécupérable la splendeur de vivre.
Il y a donc des maux qui sont réductibles au bien, et qui sont parfois conditions même de ce bien suprême, comme la mort du Père Kolbe, dans le camp d'Auschwitz réalise la plénitude du bien dans une victoire incomparable sur la mort librement acceptée. Il n'y a pas seulement les maux qui surgissent du fond de notre organisme qui est fragile, qui vit d'emprunts, qui ne peut pas subsister sans être relié constamment comme par un cordon ombilical à l'univers. Il n'y a pas seulement ces maux par lesquels notre être physique se désagrège, il y a les maux cosmiques, il y a ces catastrophes naturelles effroyables, comme les tremblements de terre, les éruptions volcaniques, comme les typhons, comme la sécheresse, comme les inondations : un coin de la terre est dévasté par une inondation, un autre par la sécheresse ; les raz-de-marée, la foudre, les coups de grisou dans une mine. Il y a là tout un échantillon de terreur, de menaces sur la vie humaine qu'on en est épouvanté. Songez, le jour de Noël même cette année, la ville de Port-Darwin a été détruite comme si elle avait été victime d'une bombe atomique.
Ce mal cosmique, — nous allons le voir —, Camus l'a profondément ressenti.
Il y a le mal moral, c'est-à-dire une atteinte volontaire à la vie des autres ou à la sienne propre, une atteinte volontaire à l'intégrité physique ou morale des autres, à leur liberté, à leur dignité, ou à la sienne propre. Soljenitsyne, hélas, nous a habitués à contempler ce monde concentrationnaire où la vie est piétinée, où le seul souci semble être de vouloir désintégrer l'homme jusqu'à ce qu'on le transporte dans un asile psychiatrique pour lui désintégrer réellement le cerveau.
Il y a donc un mal qui vient de l'homme, qui vient des décisions de l'homme, dont l'homme est responsable, et qui n'existerait pas sans lui. Ce mal est infiniment répandu, car si on peut déplorer et souffrir de l'univers concentrationnaire, on ne peut pas oublier non plus que l'économie du profit a pour conséquences des conditions de travail qui rendent la vie extrêmement difficile dans l'expression de sa dignité. On veut attaquer directement la dignité de l'homme en le désintégrant ; on peut l'attaquer indirectement lorsqu'on lui fait des conditions de vie telles qu'il ne peut pas développer son autonomie et sa puissance créatrice.
Quel que soit d'ailleurs le mal qu'on envisage, que ce soit le mal physique, le mal cosmique, qu'il s'agisse du mal moral, le mal s'oppose au bien et suppose le bien. Le mal n'existe pas en lui-même, il n'a pas une entité, un être, une forme d'existence qui soit le mal pur, c'est impossible : le mal affecte toujours un existant, un être positif, un être qui est doué de certaines qualités, en suscitant en lui précisément cette déficience par rapport à la perfection qu'il devrait posséder, qu'il devrait réaliser s'il était fidèle à toutes les exigences de sa nature, comme c'est le cas pour nous dont la nature reste ouverte, n'est pas achevée. Il s'en faut de beaucoup à la naissance, elle va constamment se construire jusqu'à atteindre la plénitude de l'humanité, ce qui est d'ailleurs fort rare.
Donc il faut retenir, — c'est capital —, que le mal s'oppose au bien et suppose un bien. S'il n'y avait pas d'ordre, il n'y aurait pas non plus possibilité de violer cet ordre. Le mal suppose qu'un ordre est violé, donc que cet ordre d'une certaine manière existe, qu'il se manifeste au sein de la nature, de différents organismes, qu'il se manifeste aussi au plus profond de notre conscience. Si vous admettez, avec Jacques Monod, que la vie a commencé par hasard, que la vie n'a aucun sens, aucun but, qu'elle ne va nulle part et ne signifie rien, le mal est éliminé dans sa racine, puisqu'on ne peut s'attendre à rien, que rien n'est exigible, qu'il n'y a aucune finalité dans aucun sens : il ne peut y avoir aucun mal. De même si on dit, en nous limitant à l'ordre moral que tout est relatif dans la conduite humaine, que tout dépend finalement des modes, du climat, des époques, il n'y a pas de mal. Ce qui hier était considéré comme le mal était une mode, voilà tout ! Aujourd'hui, il y en a une autre qui est aussi valable parce qu'il n'y a aucune existence absolue. Tout cela pour dire, — il faut l'enraciner dans notre pensée —, que le mal s'oppose au bien et suppose le bien. Quand le mal est péché avec puissance, comme il l'est par Dostoïevski dans « Les Frères Karamazov », par Camus dans « La Peste » ou dans « L'homme révolté », quand le mal devient un scandale ou suscite le scandale en nous, cela veut dire que nous percevons d'autant plus vivement le bien absolu auquel il s'oppose. Donc plus l'homme de génie ou l'homme de cœur se scandalise du mal, plus il affirme du même coup l'existence d'un Bien Absolu qui est méconnu et piétiné. Vous vous rappelez comment dans « Les Frères Karamazov », Ivan évoquant la torture des petits enfants et en donnant des exemples effroyables, veut rendre son billet : non ! pas de ciel, si le ciel est à ce prix. Rien ne pourrait jamais effacer la torture d'un enfant sans défense qui est la victime de ses parents. La souffrance des innocents est un thème qui a d'ailleurs défrayé la littérature russe dans la seconde moitié du XIXe siècle, et je crois que c'est Bielinski qui disait qu'une seule larme d'enfant est une démonstration irréfutable de l'inexistence de Dieu.
Camus a repris ce thème dans « La Peste » où il montre des enfants envahis par le mal et livrés à une souffrance dans laquelle ils sont totalement sans défense, il montre comment le docteur Rieux qui les soigne éprouve l'horreur de cette situation.
Il y a la souffrance des innocents.
Il y a une autre souffrance que Camus a ressentie très profondément, c'est celle d'être uni à un univers qui méconnaît complètement les valeurs humaines. Prenez une ville développée, civilisée, dont l'urbanisme a été admirablement calculé et réalisé, où la vie semble s'épanouir avec bonheur, et voilà qu'un tremblement de terre sévit et tue d'un seul coup 30 000 personnes. Comment est-ce possible que les forces de la nature, que les séismes, que les tremblements de terre, que les typhons, que la foudre, que la tempête, toutes ces puissances dont nous admirons de loin la grandeur puissent anéantir l'homme sans aucune espèce de scrupule, avec une indifférence magnifique, comme si l'homme ne comptait pas dans la création ? Comment est-il possible de concevoir que le cerveau d'un homme de génie puisse être grignoté par un microbe, un tout petit organisme qui dévore la substance grise de cet homme et va en faire une loque ?
C'est donc cette association de cette solidarité de l'homme avec un univers qui semble ignorer complètement ses valeurs qui a été pour Camus organisé en même temps que la souffrance des innocents, un objet insurmontable de scandale.
Pour Soljenitsyne, vous le savez bien puisque vous l'avez lu, le mal c'est avant tout le piétinement volontaire de ses valeurs spirituelles, de ses valeurs intimes, par l'homme en la personne d'autrui. Soljenitsyne a un sens puissant de la création intérieure : il sait finalement que le bien suprême de l'homme c'est de réaliser sa propre origine, de ne rien subir, et d'accumuler au fond de son esprit et de son cœur une telle somme de lumière et d'amour qu'ils deviennent un bien universel. Pour Soljenitsyne, comme pour Sakharov son ami, le mal suprême c'est cette méconnaissance atroce des valeurs proprement humaines, ce mépris absolu de cette création intérieure par laquelle l'homme se fait et atteint à toute sa dignité. On trouve la même note d'ailleurs dans Martin Gray, que vous avez lu sans doute aussi, « Au nom de tous les miens », ce livre si tragique et si terrifiant, où on retrouve exactement le même sentiment, une volonté de puissance bestiale qui s'acharne à tuer et à assassiner, à liquider tout un peuple en allant jusqu'au bout du mépris. Marx, d'ailleurs l'a ressenti, à sa manière, dans la première partie du « Capital » qui comporte quelque 1 800 pages. Nous trouvons, dans une série d'enquêtes sur la condition ouvrière en Angleterre, à l'époque où Marx vivait, sous le règne de la reine Victoria, des conditions absolument inimaginables et qui risquent malheureusement de se reproduire aujourd'hui, où l'on voit des enfants de huit ans passer seize heures au fond de la mine, pour en remonter dans un logis où tout le monde est parqué dans une seule chambre et où la promiscuité est si effroyable que naturellement tous les crimes peuvent s'y développer. Marx, malheureusement, n'a pas perçu jusqu'au bout ce qui suscitait si justement son indignation, parce qu'il a reporté sur la collectivité l'absolu qu'il pressentait en faisant du prolétariat une espèce de divinité, et la collectivité c'est l'anonymat. Et au nom de l'homme qu'on voulait sauver avec une générosité incontestable, on aboutit finalement à l'asservir de nouveau en le soumettant à la dictée de la collectivité qui est sensée être le dépositaire de toutes les valeurs. Mais il n'y a pas de doute qu'en Marx, au début, il y a eu cette insurrection d'une très généreuse humanité devant l'abus monstrueux que l'on faisait de la vie humaine, simplement dans le désir d'accumuler des richesses.
Pour Nietzsche, — qui est un autre pôle de la pensée, et Dieu sait qu'il est considérable —, le mal suprême, c'est la méconnaissance de la puissance créatrice inépuisable de l'homme. Il a défendu cela avec une passion magnifique, et il s'est heurté au christianisme avec une haine insurmontable parce qu'il l'accusait précisément de préconiser une morale d'esclaves où l'homme est soumis à un Dieu qui viole son autonomie. Kant, le grand philosophe de la fin du XVIIIe siècle, nous fournit un jalon considérable parce qu'il a saisi d'une manière extrêmement profonde où gît, où se situe ce bien absolu auquel le mal et le mal moral en particulier s'oppose. C'est Kant qui a dit ce mot que vous savez par cœur « Agis de manière à traiter toujours l'humanité soit dans ta personne soit dans celle d'autrui comme une fin, et jamais comme un moyen ». C'est une des plus grandes paroles qui ait jamais été dite par un philosophe, une des plus simples et des plus claires. La grandeur de l'homme c'est d'être une fin et cela vaut de chacun : chacun est une fin, c'est-à-dire, chacun donne par son existence un sens à l'univers ; chacun représente un bien universel, chacun donc doit être reconnu comme la source possible de ce bien universel ; et le mal suprême, dans cette perspective, c'est justement de méconnaître que chaque personne est une fin.
Nous arrivons donc à un carrefour d'une extrême importance. Nous voyons finalement que le bien absolu, comme Soljenitsyne l'a perçu, comme Martin Gray, comme Marx, comme Kant vient de nous le dire d'une manière si profondément claire, auquel s'oppose le mal est dans l'homme, mais dans l'homme tel qu'il devrait être, dans l'homme tel qu'il doit se faire. Et là, nous retrouvons Dieu. En effet, comment puis-je être un bien absolu, comment puis-je être une fin ? Ce n'est pas par mes viscères, ce n'est pas par mes limites, ce n'est pas par tout ce qui me fait dépendre si rigoureusement du monde physique : je ne puis être un bien absolu qu'en étant le porteur d'une valeur infinie à laquelle je me donne et me voue tout entier.
Saint Augustin nous explique cela dans la langue la plus magnifique, dans ce verset que vous savez par cœur « Tard je t'ai aimée, Beauté si antique et si nouvelle, tard je t'ai aimée, et pourtant tu étais dedans ; c'est moi qui étais dehors, où je te cherchais en me ruant sans beauté vers ces beautés que tu as faites : tu étais avec moi, c'est moi qui n'étais pas avec toi ».
Nous saisissons ici, sur le vif, le surgissement de ce bien absolu dans un homme qui, jusqu'à l'âge de 33 ans, malgré toutes ses recherches, malgré tout son génie, malgré toutes ses lectures, malgré tous ses entretiens, malgré son enseignement puisqu'il était un grand professeur : voilà un homme qui n'a jamais pu triompher de sa sensualité jusqu'au moment précisément où il découvre au fond de lui-même cette « Beauté si antique et si nouvelle » qui le fait passer du dehors au dedans, qui l'arrache à ses servitudes, qui le fait naître à nouveau, qui le jette au cœur de son intimité et qui suscite en lui un « moi » tout neuf, non pas ce « moi » possessif et sensuel, mais un « moi » diaphane et oblatif, un « moi » qui est tout offrande : cette Beauté si antique et si nouvelle apparaît comme le centre même de son intimité, c'est elle qui était dedans et c'est lui qui était jusqu'ici dehors. Il n'avait pu atteindre jusqu'à lui-même, faute d'avoir trouvé ce chemin merveilleux au plus intime de lui-même, de la Beauté si antique et si nouvelle qui est bien sûr pour lui, le Dieu vivant.
Nous arrivons donc à ce nouveau carrefour, à savoir que le Bien absolu auquel le mal s'oppose, ce mal qui suscite le scandale et la révolte, de Ivan Karamazov, de Camus et de tant d'autres, nous voyons que ce Bien absolu, c'est le Dieu vivant qui est caché au fond de nous-mêmes ; c'est parce que chacun de nous est le porteur de cette présence infinie que le piétinement de l'homme constitue quelque chose d'effroyable, constitue un véritable sacrilège, c'est parce que chaque homme porte en lui le règne de Dieu et est capable de le communiquer, que le refus de le laisser se développer harmonieusement, que d'entraver son évolution spirituelle, constitue un crime contre toute l'humanité. Nous sommes donc bien fixés toujours dans la même affirmation : il n'y a pas de mal qui ne s'oppose au bien, et il n'y a pas de mal absolu, — j'entends celui qui par lui-même est irréductible au bien, comme les camps de la mort et les fours crématoires —, s'il n'y a pas le Bien absolu que chacun porte au fond de lui-même. Et c'est là justement qu'apparaît le paradoxe qui doit tous nous préoccuper, et qui était la grande anxiété de Camus. En effet la présence ou l'expérience du mal constitue une des plus graves objections contre Dieu, alors que nous venons de découvrir que le mal s'oppose à Lui et qu'il en est, comme nous le dirons plus loin, la première victime. Le paradoxe est donc que le mal, le scandale du mal qui ne peut se produire que par la prise de conscience d'un Bien absolu violé et piétiné qui ne peut être que le Dieu vivant, ce même mal devient une objection contre ce Dieu même.
Comment ce Dieu a pu créer un univers où règnent la douleur, la souffrance des innocents, la mort, où les forces cosmiques détruisent avec une suprême indifférence tous les monuments de la civilisation, toutes les créations de l'homme et sa vie elle-même ? C'est ce qui amenait justement le docteur Rieux à dire dans « La Peste » de Camus : « Le plus grand honneur que l'on puisse faire à Dieu c'est de ne pas croire en lui, parce que s'il était vraiment responsable de ce monde, il serait un monstre ».
Mais je viens de le dire, s'il n'y a pas d'absolu dans l'homme, si la vie est née du hasard, si elle n'a aucun sens, il n'y a ni mal, ni scandale possible. On ne peut pas envisager cet aspect du mal comme objection contre Dieu sans penser, bien sûr, au Livre de Job, ce poème formidable qui est peut-être le plus beau livre de l'Ancien Testament, où un penseur inconnu s'est posé ce problème sous la forme d'une épreuve infiniment redoutable qui tombe sur un homme juste et innocent, à une époque d'ailleurs, où on ne croyait pas à l'immortalité et où tous les biens devaient être donnés à l'homme en cette vie, la rétribution devait être pour ici-bas. Le juste devait être plein de succès, il devait s'enrichir, il devait avoir des terres grasses, d'innombrables moutons, des chameaux et tout ce qui s'ensuit, parce qu'il était normal qu'étant juste, il bénéficie de la bénédiction de Dieu, et le méchant, au contraire, devait encourir le malheur. Or dans le Livre de Job, c'est justement le juste qui est frappé. Et vous savez que le Livre de Job ne donne aucune solution : il pose le problème avec une vigueur exceptionnelle, et on pourra jusqu'à la fin du monde lire ce récit, ce grand et altissime poème en étant secoué jusqu'au fond de soi-même, par ce cri de l'homme qui revendique la justice devant un Dieu qui ne s'explique pas, qui l'écrase simplement de sa sagesse et de sa toute-puissance. Le problème était posé, il ne pouvait pas encore être résolu.
Mais je reviens au fil de mon argumentation.
S'il n'y a pas d'absolu dans l'homme, si tout est l’œuvre du hasard, si l'on peut associer ces mots, si la vie n'a aucun sens, il n'y a aucun mal et tout scandale est éliminé. Si le scandale existe, — et il existe Dieu sait avec quelle puissance —, c'est que cet absolu semble méconnu et que cet absolu est méprisé et piétiné ; or cet absolu c'est justement Dieu lui-même. Finalement, dans le mal, c'est donc Dieu qui est piétiné, c'est Dieu qui est victime, c'est Dieu qui est toujours dans le camp des victimes. Comment cela est-il possible ?
La Genèse, dans le récit de la chute originelle, au chapitre 3, tente d'expliquer l'invasion du mal dans le monde et de la mort en particulier, comme la conséquence d'un refus de soumission à l'ordre divin. Ce thème a été repris avec une puissance incomparable par saint Paul dans l'épître aux Romains, lorsqu'il dit : « De même que par un seul homme, le péché est entré dans le monde et, par le péché, la mort, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ se sont-ils répandus à profusion sur la multitude ? » Donc saint Paul, reprenant avec tout son génie cette tradition de la Genèse, voit en effet, dans la chute originelle, c'est-à-dire dans le refus que l'on oppose à Dieu la source de tous les maux qui dévastent l'humanité et en particulier, de la mort. C'est dire qu'au fond, le texte de la Genèse qui nous rapporte la chute originelle est une tentative très émouvante d'innocenter Dieu. C'est une solution au fond beaucoup plus avancée que celle du Livre de Job. L'auteur de la Genèse, quel qu'il soit, qui a écrit ce chapitre, avait la conviction profonde que Dieu ne pouvait d'aucune manière être complice du mal, et que le mal n'avait pu entrer dans le monde que par la volonté défaillante de l'homme. C'était déjà un commencement de réponse puisque l'innocence de Dieu était nettement affirmée. Le christianisme a enrichi infiniment cette révélation de l'Ancien Testament, parce que le christianisme est centré sur l'expérience de la Trinité divine. Ce qui est profondément et radicalement nouveau par rapport à l'Ancien Testament et par rapport à l'Islam, c'est justement cela : ce monothéisme ouvert d'un Dieu qui n'est pas un être solitaire, mais d'un Dieu qui est une communion d'amour, d'un Dieu qui n'a prise sur son être qu'en le communiquant, d'un Dieu qui est dépouillé, d'un Dieu qui est diaphane, d'un Dieu qui est l'innocence même, d'un Dieu qui est l'éternelle enfance, d'un Dieu qui est la pauvreté infinie, d'un Dieu essentiellement désapproprié de lui-même. Remarquez que rien ne peut nous atteindre plus profondément, parce que notre problème, c'est cela : nous n'arrivons pas à décoller de ce moi possessif dans lequel nous sommes englués, nous restons prisonniers de ce moi, il est tout le temps devant nous, il nous barre la route, il nous sépare de nous-mêmes et des autres, alors que nous ne l'avons pas choisi ; il nous est tombé dessus du fait de notre naissance charnelle, du fait de notre tempérament, de notre hérédité, de notre première éducation, de notre milieu, de notre temps, de notre époque, de notre sexe. Ce moi qui est le centre de gravité de toutes nos servitudes qui fait que nous ne pouvons jamais aller jusqu'au bout de nous-mêmes. Nous n'arrivons pas à savoir qui nous sommes et qui sont les autres : ce moi asphyxiant dont nous sommes libérés de temps en temps, dans les moments où l'émerveillement nous arrache à nous-mêmes et nous jette dans la Beauté. Ce moi en Dieu n'existe pas ; en Dieu, la prise de conscience est purement altruiste, elle est un pur mouvement vers l'autre, elle est un pur don de soi, elle est une totale désappropriation : Dieu n'existe que dans cette désappropriation souveraine de lui-même, c'est-à-dire que Dieu est infiniment libre, c'est cela qu'il faut saisir. Ce Dieu qui se révèle en Jésus-Christ est un Dieu qui est libre de lui-même : Il ne subit pas son être, Il le donne, comme nous sommes appelés nous-mêmes à nous réaliser en ne subissant pas notre être, mais en le donnant.
La liberté c'est cela : la liberté profonde, essentielle, cette liberté inviolable et sacrée, cette liberté qu'il faut absolument assurer à chacun et respecter en chacun, cette liberté c'est cela : celle qui consiste à ne pas se subir soi-même, et à n'avoir prise sur son être qu'en le communiquant. Comme dans l'élan d'Augustin lorsqu'il se trouve en face de la Beauté « toujours antique et toujours nouvelle », et qui s'écrie : « vivant désormais sera ma vie toute pleine de toi ».
C'est cela qui est au cœur de l'Évangile, c'est cela qui a exercé la méditation des premières générations chrétiennes, c'est cela qui a éclaté avec une lumière admirable dans les premiers conciles universels : cette découverte incroyable d'un Dieu qui trouve en lui-même le jaillissement de son existence, de quoi se communiquer totalement en existant que sous cette forme de communication où le moi n'est qu'un regard vers l'autre, le Père vers le Fils, le Fils vers le Père, le Saint-Esprit vers l'un et l'autre, une circulation de vie qui ne s'arrête jamais et où il n'y a jamais de possession où toute la lumière, tout l'amour n'est approprié par aucune des personnes, mais ne cesse de circuler entre elles dans cette respiration d'amour. Donc Dieu est liberté absolue. Alors, évidemment, s'Il est cela, et s'Il est le Créateur de cet univers, Il ne peut vouloir qu'un univers libre, un univers qui se crée lui-même, un univers qui ne subit pas son existence, mais qui la fait jaillir en offrande d'amour. Il a voulu cela pour les créatures intelligentes, mais à travers elles, à travers les anges et les hommes, si vous le voulez, — Il a voulu saisir tous les éléments de l'univers en les ouvrant sur ce soleil intérieur caché au fond de nous-mêmes.
Ce Dieu-là, le Dieu qui se révèle en Jésus-Christ ne veut pas créer un monde de robots, mais un monde libre qui crée ou qui se crée avec Lui, c'est-à-dire que la création, dans cette perspective, n'est pas le geste d'une toute-puissance qui, sans tenir aucun compte de rien ni de personne, suscite la vie à son gré sans tenir compte de la dignité de cette vie. La création, c'est une histoire à deux, c'est une histoire d'amour, c'est une histoire nuptiale où la créature est appelée à collaborer avec Dieu à sa propre création.
C'est cela, je crois, l'élément absolument nouveau que l'Évangile nous apporte, car il est absolument impossible que ce mystère adorable de la Trinité qui nous permet enfin de respirer, de voir en Dieu uniquement l'amour qui sollicite notre amour et qui se remet aux mains de notre amour, ce mystère adorable ne peut pas retentir sur la conception de la création, nous ne pouvons plus nous placer au point de vue de la Genèse : représenter Dieu comme l'artisan qui dispose de tout, souverainement, sans consulter personne, — c'était déjà un magnifique tableau — mais la révélation de la Trinité va infiniment plus profond et nous amène à concevoir un Dieu intérieur à nous-mêmes, « plus intime à nous-mêmes, comme dit Augustin, que le plus intime de nous-mêmes », un Dieu qui est le seul chemin vers nous-mêmes, un Dieu qui est la vie de notre vie, la respiration de notre amour, d'un Dieu dont le dessein créateur ne peut pas être autre chose que la liberté : la liberté inviolable de la créature, inviolable pour lui. Ce qui veut dire que ce Dieu révélé par Jésus-Christ peut aboutir à un échec dont la croix sera l'expression sanglante. Il y a un texte que vous connaissez sans doute, un des textes les plus extraordinaires que le Moyen Age nous ait transmis, et qu'on trouve dans un ouvrage qui s'appelle le « De Beatitudine », donc « Du bonheur », que l'on a parfois attribué à Saint Thomas d'Aquin et où se détache cette phrase unique : « Ce qui enflamme l'âme à l'amour de Dieu c'est cette humilité de Dieu qui s'est soumis aux anges et aux âmes saintes comme un esclave que l'on achète au marché, comme si chacune de ses créatures était son Dieu ». Je pense que l'on n'a jamais été plus loin dans l'expression du don de l'amour de Dieu. On n'a jamais atteint plus profondément le sens de la création ; chaque créature est pour Dieu son Dieu. C'est d'ailleurs ce que notre Seigneur a vécu dans l'expérience unique de son agonie et de sa mort. Jésus a établi cette équation : dans un plateau de la balance, il y a l'homme et dans l'autre, il y a Dieu, c'est-à-dire que pour Dieu : l'homme = Dieu.
La création ne veut pas être une réalité passive livrée à des automatismes aveugles : elle est accrochée à l'Esprit, à cet Esprit dont Jésus parle à la Samaritaine dans cet entretien inoubliable du chapitre 4 de saint Jean. L'univers est accroché à l'Esprit, il est suspendu à l'amour, et le refus d'aimer tranche précisément cette relation, mutile l'univers et crucifie Dieu, car c'est cela la réponse de Jésus qui est inscrite sur la croix ; la réponse de Jésus au problème qui torturait Job et tant d'autres génies qui se sont posés le problème du mal, la réponse de Dieu c'est la mort de Dieu.
Il est donc certain que le mal fait scandale, le mal provoque la révolte, il ne perçoit pas le vrai Dieu mais s'insurge contre une espèce d'idole où Dieu extériorisé.., à l'univers, apparaît comme une volonté despotique et arbitraire qui soumet l'homme à ses caprices. Si nous serrons le problème d'aussi près que possible, nous voyons qu'au contraire il n'y a de mal que parce qu'il y a Dieu, il y a le mal absolu que parce qu'il y a le Bien Absolu. L'homme ne peut revendiquer sa dignité contre les autres qui la piétine, contre l'univers qui la méconnaît, que s'il est le porteur d'un infini qui le sacralise et qui fait de lui la source, s'il le veut, s'il va jusqu'au bout, de sa vocation, qui fait de lui un bien universel. Tout se ramène donc à l'intérieur. Il s'agit d'un dialogue de liberté, où la liberté divine invoque et appelle la nôtre pour que la divinité nous soit communiquée autant qu'elle peut l'être. Remarquez que ceci vous deviendra intuitivement évident, si vous vous rappelez en quoi consiste une saine pédagogie.
Un homme que j'ai connu qui était un bigot, voulant s'assurer un contrôle sur ses enfants, sur la pureté de ses garçons, dans le style de l'époque, les obligeait à communier tous les jours. Il était ainsi sécurisé : puisqu'ils communient c'est donc qu'ils sont en état de grâce, pour employer le langage de ce père. La conséquence inévitable, c'est que les enfants craignant la matraque, allaient communier n'importe comment, car le père les voyait et ils ne pouvaient pas se cacher de lui. Eh bien, rien n'est plus contraire à une véritable paternité. Un père digne de ce nom, une mère digne de ce nom ne vont pas, parce que leur enfant dépend matériellement d'eux, abuser de cette dépendance pour lui imposer leurs idées, leurs préjugés, leurs goûts. Un père digne de ce nom, une mère digne de ce nom percevront l'impossibilité de violer cette conscience, l'appel à la respecter pour l'aider précisément à conquérir son autonomie, à réaliser une entière liberté et c'est justement par ce retrait que les parents attesteront qu'ils sont de véritables parents, ils annuleront la dépendance matérielle de leur enfant à leur égard pour qu'il n'y ait plus que ce rapport de conscience à conscience, de dignité à dignité, de liberté à liberté. Et c'est ce que Dieu fait : Il annule en quelque sorte notre dépendance qui fait que nous n'existons que par Lui, Il annule cette dépendance, Il nous porte au niveau de son cœur, et Il veut entretenir avec nous uniquement ce rapport d'Esprit à esprit que Jésus veut susciter dans le cœur de la Samaritaine.
C'est alors justement qu'Il peut échouer. Effectivement, Il a échoué puisque « Jésus est en agonie depuis le commencement du monde et jusqu'à la fin », comme dit Pascal. Au fond justement, la tragédie du mal dans la perspective chrétienne c'est la tragédie de Dieu qui est victime du commencement de l'histoire jusqu'à la fin et qui le sera toujours dans la mesure où une seule créature refusera l'amour qui est le sens même de l'existence. Il n'y a pas de doute que la croix est une dimension nouvelle sur ce fond de Trinité qui lui donne toute sa signification, puisque la croix veut dire que c'est Dieu qui meurt pour ceux qui refusent obstinément de l'aimer pour justement ne pas violer leur liberté, pour que cette liberté se donne du fond de sa spontanéité sans être jamais contrainte.
Je pense que Camus, s'il avait pu suivre cette expérience, s'il avait pu identifier le mal qui faisait si gravement problème pour lui, s'il avait pu l'identifier avec ce piétinement de Dieu, le piétinement du Bien Absolu dans la création et dans l'homme en particulier, il aurait accepté, je pense, d'y voir en effet la réponse, la seule réponse possible : c'est Dieu qui est victime, c'est Dieu qui meurt, c'est Dieu qu'il faut sauver.
C'est vrai finalement : si on sauve cette création intérieure en soi et dans les autres autant qu'il est possible de le faire, tout est sauvé. Si un être arrive à être le porteur de ce soleil de vérité et d'amour qui est caché en lui, et s'il en laisse se diffuser le rayonnement, il a accompli tout ce que l'Esprit est appelé à accomplir. Le mal est la rançon de la liberté. Le mal n'existe que parce que nous avons à nous créer avec Dieu, parce que l'univers est une histoire à deux, une histoire d'amour, une histoire nuptiale, et que Dieu lui-même s'est remis entre nos mains. On le sent bien quand on blesse une âme, on sent bien qu'on éteint l'Esprit, comme dit saint Paul aux Thessaloniciens. Or éteindre l'Esprit, c'est justement cela, c'est éteindre Dieu, c'est le faire mourir au cœur de l'homme. Le mal ne peut donc pas être une objection, s'il est saisi dans ses racines, à l'affirmation de Dieu, — j'entends du seul Dieu que nous puissions expérimenter, qui est le Dieu intérieur à nous-mêmes. Le mal ne peut pas être une objection puisqu'au contraire, il nous montre ce Dieu écartelé et crucifié à la face de l'univers.
Quand Graham Greene écrit à la fin de « La Puissance et la Gloire » : « Aimer Dieu c'est vouloir le protéger contre vous-mêmes », il dit dans les mots les plus humbles ce qu'il convient en effet de dire.
Voilà que nous saisissons l'immense grandeur de l'homme, l'immense grandeur de l'homme qui est appelé à être un homme créateur dans la liberté qui est la libération de soi-même et qui est envoyé pour être, comme dit Jésus « la lumière du monde ». Si donc on veut donner au problème du mal toutes ses dimensions, il faut donner à l'homme toutes les siennes, et à Dieu, toutes les siennes aussi qui sont celles de l'amour et qui ont pour mesure la croix de Jésus. Nous ne saurons jamais à quel point le Christ, non pas par un enseignement de philosophe, mais par l'expérience de Dieu qu'Il est, par cette présence de la Trinité dans laquelle sa personnalité s'enracine, nous ne saurons jamais à quel point Il nous a libérés des idoles, à quel point Il a révélé notre esprit à nous-mêmes et à quel point Il nous entraîne dans cette aventure immense d'être les porteurs de Dieu et d'avoir la capacité de Le donner. C'est notre immense aventure et c'est aussi la seule égalité entre les hommes, parce que c'est une grandeur accessible à chacun de ce que l'on est, de ce que l'on choisit d'être au fond de soi-même dans le secret de cette solitude où nous attend cet amour infini qui est en agonie depuis le commencement du monde jusqu'à la fin, et qui ne cesse de nous attendre au plus intime de nous.
Maurice Zundel, in L’humble présence, inédits rassemblés par Marc Donzé