jeudi 28 mars 2013

En sauvant... Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Jésus est cloué à la Croix


Un frisson traverse le ventre de Marie, secoue ses membres maternels, fait trembler sa mâchoire, tandis que Jésus est emporté vers la Croix, car personne ne tue en restant cloué sur place. Se mouvoir, et vite, si l'on ne veut pas mourir à son tour dans la sombre évidence que le mal se transmet de frère en frère. Pauvre soldat, aujourd'hui dans le Ciel, – mais bien sûr ! – éternellement blessé par l'amour qui suppure des plaies scintillantes de gloire. Pour l'instant, il tire sur le bras décharné comme on pousse un agneau au box des condamnés. Près de la Croix, le centurion fixe le Christ, la gourde à la main, et il la Lui tend si brusquement qu'un peu de vin giclant au torse flagellé révèle à Jésus la présence de la myrrhe au pouvoir endormant. « Pas question de mourir sans l'esprit. Jusqu'au bout, fût-il celui de l'épouvante, je resterai lucide, et avec moi, la foule de mes enfants à venir, qui, je l'espère, donneront à l'insoutenable douleur le prix de sa dignité. Triste breuvage, reste où tu es ! » Le temps de rendre la gourde, et c'est l'ordre donné : « Allez, Roi des Juifs, allonge-toi sur le bois ! »
Sans une hésitation, et surtout sans le moindre geste, pas même d'au revoir, Jésus se retourne, plie les jambes, se couche de tout son long, épouse la Croix du premier coup comme si depuis toujours il dormait sur elle. Là, sur son avant-bras, le droit, c'est un soldat qui maintenant met son genou, cependant qu'un monstre obéissant plante à coups de marteau un clou de mulet dans sa chair vive. Un cri strident perce le ciel, c'est le Verbe qui geint de son humanité passible, et ce cri, long comme une déchirure, tournoie dans les airs, cherche un lieu pour reposer la tête, mais il n'y a rien, ni personne, la mort est encore loin. Comment le rire peut-il encore survivre dans les rangs de cette foule imbibée d'Écriture ? Le Serviteur souffrant, annoncé par Isaïe, ne le voit-elle pas mettre en œuvre la prophétie ? Et c'est au tour du bras gauche, crispé sur le ventre de se voir violemment déplié offrant au bourreau une main longue et patricienne dont la beauté sous le sang continue de régner au contact du fer qui maintenant s'enfonce à jamais dans la paume. Cette fois-ci, pas un cri ; le Christ halète, la respiration est trop courte pour surgir en force, des larmes seulement sur la Sainte Face, coulures de douleurs irrépressibles. À présent, les pieds sont promptement unis, l'un près de l'autre, et par deux clous traversés de part en part. Sur ces derniers pics, sauvagement plantés, le corps du Christ se soulève et se tord en son milieu comme une bête prise au collet des hommes. Du sang partout, sur les poutres et dans les mains des gardes, - et dans la bouche du Messie, pour toute réponse, trois mots articulés en vomissures d'amour : « Père, pardonne-leur... » C'est vrai, ils ne savent pas ce qu'ils font, en dressant la Croix sur le monde, élargissant les plaies qui sauvent, attirant au seul Dieu l'homme perdu de tous les temps.

Michel-Marie Zanotti-Sorkine, in La Passion de l’Amour