lundi 27 mai 2013

En illuminant... Adrienne von Speyr, Mystères du Rosaire

Les Mystères lumineux du Rosaire 1
Dieu a séparé la lumière des ténèbres. La lumière, c'est la lumière du Christ. Les ténèbres sont ce monde dans le péché. Dans cette séparation, les deux se font face : d'un côté le Seigneur et sa lumière, de l'autre côté tout ce que le Seigneur n'est pas. Car il n'y a pas d'autre lumière que la Sienne. Il n'existe pas, lorsqu'il commence à rayonner dans le monde, d'autres lumières auxquelles Il pourrait s'unir pour former une lumière commune. Non, toute lumière vient de Lui. La séparation entre lumière et ténèbres ne signifie cependant pas que les deux restent sans relation. Il serait contraire à la nature de la lumière de ne pas arriver à luire dans les ténèbres. La lumière du Seigneur luit en tout ce qu'Il n'est pas ; car tout est destiné à Lui appartenir (Jean. Les controverses, I, p. 139).
Le baptême dans le Jourdain
Le premier témoin qualifié de la lumière du Christ fut Jean-Baptiste. Son image permet de déchiffrer la nature de toute mission et de tout témoignage. Le mandat de la Nouvelle Alliance, tel qu'il est déjà remis à Jean, contient l'exigence illimitée de rendre témoignage à la lumière.
Il est significatif que Jean, de sa propre initiative, ne baptise que dans l'eau, et que pourtant il ait le mandat de baptiser le Seigneur lui-même, dans un baptême qui devient l'origine de tout baptême dans l'Esprit. À partir de ce baptême, Jean lui aussi baptise dans l'Esprit, transmet lui aussi la vie de la foi, non seulement par la parole, mais encore par le sacrement. Et il est également significatif que le Seigneur ait été conçu par Marie dans l'Esprit Saint et que Jean ait reçu l'Esprit par Marie, dans le sein de sa mère. Tous les fils de la mission passent par les mains de Marie ; c'est Dieu lui-même qui confère la mission, mais Marie transmet à celle-ci quelque chose d'elle-même, de sa fécondité et de sa vitalité.
Toute mission se réalise dans l'Esprit Saint. Si le Seigneur est venu dans le monde afin de révéler le Père, s'Il était Lui-même la révélation du Père, cela ne s'est fait que dans la force de l'Esprit Saint envoyé sur le Fils par le Père. L'Esprit Saint est aussi bien celui qui remet la mission que la mission elle-même. Il est la mission de la mission. D'une part, Il est, en Dieu, le témoin qui témoigne de la relation entre le Père et le Fils, le seul qui peut témoigner pour ainsi dire « objectivement » de leur amour dans l'éternité et du mystère de leur séparation à la Croix. D'autre part, en tant que troisième personne en Dieu justement, Il est l'éternel échange entre le Père et le Fils, leur confident mutuel qui doit transmettre leur amour, le messager et l'envoyé de l'amour. C'est pourquoi l'Esprit auprès du Fils incarné est aussi bien le témoin de sa gloire mise en dépôt auprès du Père — Il la rend visible dans la foi —, que la mission du Père à l'intention du Fils — sous la figure de la colombe (Jean. Le Verbe se fait chair, I, pp. 81-83).
Les noces de Cana
C'est le premier miracle opéré par le Seigneur. Celui-ci l'accomplit en public au temps de sa vie active, comme tous ses autres miracles. Or chacun d'eux est toujours un témoignage et un fruit de sa contemplation. Il les accomplit tous comme un homme qui ne s'écarte jamais de la contemplation parce qu'il vit continuellement dans la vision du Père, et comme Dieu qui a la possibilité d'opérer en tout temps des miracles selon sa propre volonté. Mais parce que comme homme il ne veut rien connaître d'autre que l'obéissance à la volonté du Père, Il veut aussi les accomplir plus par la puissance du Père que par la sienne ; car tous ses miracles doivent être un témoignage de la puissance du Père et servir ainsi à sa glorification. Il ne veut servir le Père et l'aimer que par la propre puissance du Père. Ainsi, tout en étant son action, ses miracles sont-ils puisés à la source plus profonde de la contemplation.
Dans un premier temps, le Fils n'est pas enclin à accéder à la prière de la Mère. Mais la Mère persiste. La voici qui s'adresse aux serviteurs : « Faites ce qu'Il vous dira ». Elle croit, elle a confiance et, dans cette foi confiante, elle sait avec certitude qu'elle est en droit d'avoir cette foi. Si, dans cette foi, elle continue d'insister et si cette insistance apparaît presque comme une volonté d'arriver à ses fins, sa démarche n'est cependant plus personnelle ici, mais a pris sa dimension ecclésiale. Marie inaugure son rôle d'Épouse, c'est-à-dire de l'Église suppliante. À cet instant, elle se tient en un point extrêmement délicat et très exposé, embrassant du même regard le besoin des hommes et l'attitude réservée du Seigneur. Et elle n'a pas le droit de se laisser repousser en ce moment. Sinon, elle ne satisferait pas à son rôle d'intercesseur. Elle est l'Église qui aspire ardemment à l'unité avec le Seigneur. Certes, l'épouse est soumise à l'époux, surtout quand l'épouse est l'Église et l'Époux la personne divine du Fils. Mais l'épouse n'est pas une esclave ; elle est libre et a ses droits vis-à-vis de l'époux. Ce sont ces droits que défend ici la Mère. Il y a certaines choses qu'elle comprend comme femme, comme mère, comme épouse, et de même que le mari doit s'adapter à son épouse s'il veut et doit vivre en sa compagnie, ainsi le Seigneur veut-Il se faire montrer par la Mère certaines perspectives spécifiquement féminines. Le rapport actuel de la Mère au Fils, comparé à celui qu'elle avait avec l'enfant de douze ans, s'est presque inversé. Alors, elle devait apprendre la non-compréhension qui conduit à la Croix. Maintenant, elle se tient à Ses côtés comme une personne du même âge qui a de l'expérience et comprend.
La foi n'est pas déçue ; Dieu répond toujours à la foi qui demande, même s'Il ne le fait pas comme l'attend peut-être humainement le croyant. La foi elle-même ne s'attend à rien de fixe ; elle n'attend que la réponse de la grâce qui va au-delà de l'exaucement. Ce que celle-ci sera reste toujours imprévisible. La foi n'entend donc pas, dans la réponse de Dieu, ce qu'elle aime entendre ; la réponse est à la question ce que le vin est à l'eau.
À partir de ce miracle, la Mère sera impliquée dans tous les autres miracles du Seigneur. Une seule fois, on montre comment elle influence le Fils par ses requêtes. Cette unique fois, qui est en même temps la première, suffit à montrer qu'elle aussi peut opérer des miracles. Qu'elle fasse fléchir le Fils pour qu'Il opère le miracle ou qu'elle l'accomplisse elle-même a peu d'importance. Les possibilités de son pouvoir brillent avec assez d'éclat pour que nous sachions qu'elle reste partout présente, qu'elle est Reine, qu'elle a pouvoir sur son Fils. Ensuite, le rideau retombe, car elle doit entrer dans la souffrance. Mais nous savons à présent qu'elle est toujours la médiatrice. Elle n'a rien demandé pour elle-même, elle a rendu attentif au besoin des hommes. Et la réponse du Fils à sa demande a été la plus surabondante qui soit : aux invités, Il a donné la foi qui est plus que tout ce qu'ils auraient pu désirer, plus que le meilleur vin. Personne dans cette affaire ne s'était adressé à la Mère comme à une médiatrice, parce que personne ne pressentait encore son pouvoir d'intercession. C'est la première fois qu'apparaît sa qualité propre de suppliante ecclésiale. Et pourtant, elle a déjà une position puisqu'elle a le pouvoir et le droit de donner des ordres : « Faites ce qu'Il vous dira ». Ce droit, elle l'a en raison de son titre de Servante qui maintenant se change en celui d'Épouse. Il lui est parfaitement clair qu'elle a le pouvoir et le droit d'agir ainsi. Or, dans son humilité, elle connaît exactement sa dignité et sa position : toutes les générations la diront bienheureuse. Et le temps est venu que les autres aussi soient introduits dans le Mystère (La Servante du Seigneur, pp. 117-122).
L'annonce du Royaume de Dieu et l'appel à la conversion
Le royaume des cieux est le royaume du Père, du Fils et de l'Esprit Saint. C'est un royaume de l'unité consistant en l'amour trinitaire de Dieu. Dieu le Père avec son Fils dans l'Esprit Saint demeure de toute éternité, pour toute éternité, non pas dans un isolement clos, mais dans l'ouverture divine infinie vers le monde. Car Dieu a créé le monde à l'unique fin que celui-ci ait part à la gloire de son royaume. Il invite les hommes à entrer et à se réjouir de sa vision, à partager avec lui sa vie éternelle. De tout temps Il les a ainsi invités. Mais eux ne comprennent rien à ce royaume et ne savent que faire pour correspondre à l'invitation. C'est pourquoi le Seigneur, tout au long de son sermon sur la montagne, qui se révélera comme la grande invitation faite à l'humanité d'entrer dans le royaume de Dieu, explique par quel chemin on peut y accéder (Le Sermon sur la montagne, pp. 9-10).
Rien n'est aussi profondément inclus dans le mystère de l'amour que le péché. Rien n'exige autant d'amour pour être compris ou expliqué. C'est seulement lorsque l'amour du Père et du Fils parvient par le Saint-Esprit jusqu'à nous, que le péché prend le caractère qu'il a depuis la rédemption : le caractère d'un éloignement total de l'amour, du refus et du rejet de l'amour, de l'opposition à l'amour. Alors seulement il s'exprime de façon si forte et exclusive dans sa négativité, que seul l'amour peut à nouveau l'effacer, que seul l'amour le plus pur, l'amour uniquement pur, l'amour divin, peut le ramener au centre de l'amour. Alors le Seigneur donne aux pécheurs qui ont fait l'expérience de son amour et en ont soif, la possibilité de surmonter le péché. Et c'est toujours par l'amour.
Avant la Croix, le Seigneur avait, à plusieurs reprises, préfiguré le sacrement de réconciliation : mais c'était toujours Lui qui pardonnait. Sur la Croix, Il a accompli toute la rédemption, ici-bas et dans l'au-delà, dans le temps et dans l'éternité. Et pour montrer que la rédemption éternelle se produit réellement dès ici-bas et n'est pas simplement « eschatologique », Il en remet l'administration entre les mains de son Église terrestre. Il établit une continuité entre son action et celle de l'Église. Il pardonne lorsque le prêtre pardonne. Le prêtre donne l'absolution au nom du Seigneur (Jean. Naissance de l'Église, I, pp. 243-245).
La transfiguration
La gloire du Fils, c'est qu'Il appartient au Père, qu'Il possède son amour et vit dans la foi en Lui. Pendant le temps de sa vie terrestre, Il ne veut être que le Fils, ne veut vivre que de la gloire reçue du Père. Cette gloire acquiert son unité par la sainteté ; elle ne se laisse plus décomposer dans les différentes parties de la mission et des moyens concrets reçus du Père ; tout élément particulier n'est plus qu'un rayonnement de la plénitude qui est la sainteté de Dieu. Et cette plénitude de la sainteté du Père, le Fils l'apporte aux hommes. Il ne l'apporte pas diminuée et modifiée ; Il l'apporte exactement telle qu'Il l'a reçue : comme un tout, une plénitude. C'est là que le Seigneur se tient. Il est le pont qui enjambe l'écart incommensurable entre Dieu et l'homme.
Le Fils a donné aux hommes les paroles du Père telles qu'Il les a reçues : Il s'est servi de paroles qui dépassaient leur entendement humain. Car telles étaient les paroles que Dieu a confiées au Fils, et le Fils n'avait pas le droit de les amoindrir, de les tronquer, pour les adapter à la capacité humaine. Il ne pouvait pas transmettre une parole et en taire une autre. Il ne pouvait pas atténuer une parole qui était trop puissante. Il devait transmettre le message tel qu'Il l'avait reçu Lui-même.
Et Il a pu laisser à la parole toute sa grandeur uniquement parce qu'Il a assumé par sa vie la médiation entre le ciel et la terre. Parce que, par son amour, Il a offert en même temps la possibilité de comprendre. Il ne laisse donc pas simplement la justice subsister à côté de l'amour, mais Il l'enveloppe dans son amour, Il la communique dans l'amour de sa vie. C'est ainsi qu'elle devient pour nous acceptable et compréhensible. Ainsi le Seigneur est-il partout la médiation vivante entre Dieu et nous : Il a une main dans la main du Père, l'autre Il nous la tend.
En accomplissant les deux mouvements : s'abaisser jusqu'au degré le plus bas, où nous nous trouvons, et en même temps indiquer toujours le Père vers le haut, le Fils nous a prouvé que notre vie chrétienne peut et doit se réaliser parfaitement à notre niveau humain. Le christianisme ne se situe pas au-delà de nous ; il n'est pas réservé à des surhommes, mais il est le moyen de mener, dans l'existence terrestre de tous les jours, une vie tournée vers Dieu. Le Fils nous a tout laissé de ce que nous sommes, de ce que nous étions et de ce que nous serons ; Il nous a laissé notre condition basse et misérable, la pauvreté tout autant que l'amour terrestre, mais en nous ouvrant en même temps vers ses fins à Lui. Extérieurement, tout dans le monde semble pareil à ce qui était avant Sa venue. Intérieurement, tout a changé et se trouve en mouvement vers Dieu (Jean. Le discours d'adieu, II, pp. 276-277, 222-228).
L'institution de l'Eucharistie, expression sacramentelle du mystère pascal
C'est un moment angoissant que celui où le Verbe qui au commencement était auprès de Dieu, qui s'est fait chair et s'est incarné dans l'humain, n'est tout à coup à nouveau plus que parole, parole détachée de tout, que l'on peut entendre. Cette parole déclare : « Ceci est mon corps ». La nouvelle et éternelle Alliance, le christianisme tout entier, tous les événements passés qui y préparaient et tous ceux qui sont encore à venir, tout cela entre maintenant dans la simple parole : « Ceci est mon corps ». Cette parole saisit en elle la mission tout entière et la représente devant le Père. Et ainsi toute la Passion est aussi déjà par anticipation dans cette parole.
Le monde reçoit un nouveau centre. Comme le Fils s'est fait chair, maintenant Il se fait pain. Et comme Il s'est fait pain, Il se fait Église. Au pain Il offre son corps ; à l'Église Il permet de prendre son corps et de se transformer en son corps. Son unique corps prend trois formes : Il est corps incarné, corps eucharistique, corps ecclésial.
Les disciples préfigurent l'Église qui ici n'a ni figure ni vie intérieure encore, mais à laquelle ce corps est offert, sans qu'elle sache déjà comment en user. Le plus angoissant dans toute cette situation, c'est peut-être que le Seigneur s'offre à l'Église comme la Parole qu'Il est et que pourtant l'Église ne naît véritablement que par cette parole. L'Église ne peut donc souffrir avec Lui que parce qu'elle a reçu son corps d'avance et que ce corps vit déjà en elle. Si le Seigneur avait d'abord souffert et ensuite seulement institué l'Eucharistie, l'Église ne participerait pas à sa Passion, elle serait dès le début uniquement l'Église triomphante qui a toujours derrière elle la mort du Seigneur. L'Eucharistie ne serait que le corps ressuscité du Seigneur. Mais l'Église étant composée de pécheurs, une telle chose est impossible. Le Seigneur ne pouvait donc instituer ce sacrement que pendant sa vie précédant la Croix, de même qu'il ne pouvait instituer la confession et l'absolution qu'après la Croix (Au cœur de la Passion, pp. 16-21).
La Mère prononce le oui, et celui-ci devient une condition conjointe de l'incarnation du Fils. Restant ce qu'Il était, Dieu, le Fils se fait homme en se fondant aussi sur le consentement maternel. Sa figure eucharistique, Il la prend uniquement sur la base de sa propre volonté, sans attendre notre assentiment. Mais l'assentiment de la Mère contribue à la possibilité de sa décision de se faire Eucharistie. La fécondité de la Mère est aussi la condition préalable à sa fécondité à Lui dans l'Eucharistie. Le sens du oui à l'incarnation acquiesce intérieurement déjà à la fin de celle-ci : la rédemption universelle. Tout ceci reste plein de mystères, et pourtant ces mystères sont simples puisqu'ils s'appuient tous sur l'incarnation. À l'arrière-plan se trouve la réponse de la Mère qui reste le présupposé de tout, et les croyants sont invités à joindre leur voix à ce premier oui (Passion nach Matthäus, pp. 27-29).
Adrienne von Speyr, in Communio 2006-1

Adrienne Von Speyr, née en 1902 à La Chaux-de-Fonds. Elle est élevée dans le protestantisme, puis se convertit au catholicisme. Laïque, médecin, écrivain et mystique, elle dicte en allemand plus de soixante livres. Meurt en 1967.

1. Toutes les œuvres citées ont été publiées par Lethielleux (Paris), sauf Jean. Les controverses, édité par Lessius (Bruxelles). Les traductions ont été légèrement retouchées. Le dernier livre cité, Passion nach Matthäus, n'est pas encore disponible en français.