samedi 24 mai 2014

En musant... Albert Samin, Vieilles Cloches

À Louis Le Cardonnel.
Les cloches d'autrefois, dites, où sonnent-elles ?
L'antan naïf est mort. Les anges, blancs défunts,
Reposent, les doigts joints, au tombeau de leurs ailes.
La Vierge a clos ses yeux. Dans les jardins fidèles
L'âme des lis penchés est veuve de parfums.
L'enfant nu, grelottant sur la paille des crèches,
Ne voit plus de roi mage en extase à ses pieds.
La ville impie est sourde à la ferveur des flèches.
Les nefs n'entendent plus clans l'orage des prêches
Tonner la voix de fer des grands moines altiers.
Nul enfantin pinceau n'enlumine, candide,
Son rêve primitif aux marges des missels.
Le vent qui passe fait pleurer l'église vide ;
Et le prêtre doré clans l'étole rigide,
Le dimanche, officie au désert des autels.
L'antique renouveau des fêtes surannées
Ne fleurit plus aux vieux pavés du siècle dur.
Ô fêtes d'autrefois dans l'aurore sonnées,
Ô fêtes, qui veniez par le ciel, couronnées
De beaux noms, où tremblait un mystère d'azur !
Les chapelets bénits, consolateurs des veuves,
Ne s'égrèneront plus sous les doigts orphelins.
Il n'est plus le calvaire, où toutes les épreuves,
Comme à la grande mer où se perdent les fleuves,
Noyait leurs pleurs d'un jour aux vieux sanglots divins.
La foi des nations s'en va, pauvre exilée.
Le mauvais serviteur commande à la maison.
L'étoile du berger aussi s'en est allée ; Et
Notre-Dame en deuil regarde, inconsolée,
Descendre le soleil gothique à l'horizon.
Une lueur encor flotte, à s'éteindre prompte,
Rouge adieu sanglotant des pourpres de jadis.
Nos cœurs ont froid. La nuit d'une angoisse nous dompte...
Écoute !... On chante les derniers De Profundis.
Et voici que le spleen, le spleen lunaire monte !


Albert Samin, in Au Jardin de l’Infante