vendredi 16 janvier 2015

En cherchant... Jacques Loew, Dieu est Amour

Quand Dieu s'est fait connaître
Comment Dieu s'y est-il pris pour se faire connaître à nous ? Il aurait pu adopter la façon d'un professeur très savant qui fait un cours très compliqué sur un sujet très difficile. Alors, seuls quelques grands penseurs d'un niveau supérieur auraient pu connaître Dieu. Aussi Dieu a-t-il choisi un autre moyen.
Dieu s'y est pris, certes, comme un grand savant, mais comme le fait un homme génial quand il veut expliquer ce qu'il sait à ses petits enfants. Le grand savant cherchera des mots simples (et profonds, cela ne s'exclut pas), des comparaisons empruntées à la vie de tous les jours. Peut-être même organisera-t-il un jeu pour mieux graver dans l'esprit de ses enfants certaines attitudes à avoir. Il racontera des fables, montrera des images... Et si cet homme est un génie, les plus petits comprendront, tandis que les plus savants s'émerveillant de la profondeur de ce qui aura été dit, sauront deviner le reste.
Ne vous étonnez donc pas si Dieu, pour se faire connaître à nous, a choisi des mots très simples, des comparaisons familières, des images à la portée des plus simples.
Un être très proche
Notre Bible est pleine de descriptions déroutantes : Dieu se compare aux hommes dans leurs actions les plus humaines : il parle, il écoute, il voit, il sent, il rit, il siffle ; il a des yeux, des oreilles, des pieds et il les pose sur un escabeau...
Tantôt, il se promène à la brise du soir, faisant le tour du propriétaire, tantôt, comme un vendangeur, il foule au pressoir ; il ferme lui-même la porte de l'arche derrière Noé, et souvent il ne dédaigne pas de ressembler à un vaillant guerrier, et même à un guerrier qui se réveille après un sommeil lourd, parce qu'il avait un peu trop bu...
Il va plus loin : même l'activité des animaux lui sert de terme de comparaison lorsqu'il s'agit de mettre en évidence un aspect de sa force : le lion, l'ours, la panthère, l'aigle illustrent sa puissance car « personne ne peut leur arracher leur proie », et il se compare aussi à la teigne qui détruit aussi sûrement, quoique sans bruit.
Il éprouve nos sentiments : la joie, le dégoût, le repentir.
Et tout cela pour bien nous mettre dans la tête qu'il est Quelqu'un, une personne, pas une idée, ou une théorie. C'est un vivant.
Dieu est en même temps l’Incomparable
Aux mêmes hommes à qui il se présente si familièrement, Dieu interdit énergiquement de le représenter dans des statues, car, dit-il : « Je suis Dieu et non pas homme ». Il se nomme le Très-Haut, l'Inaccessible, le Dieu au-dessus de tous les dieux, Celui que l'on ne peut nommer, car il est au-dessus de toutes les dénominations. Il est Esprit et non pas chair, l'Incommunicable, le Saint.
Et ces hommes, descendants d'Abraham ou de Moïse, ne s'y trompaient pas. Ils avaient une trop haute idée de Dieu (au moins les meilleurs) pour confondre leur Dieu avec un homme en colère ou un lion emportant son butin. « Il habite une lumière inaccessible », et l'homme devant lui ne peut que balbutier sans fin : « Qui est comme toi ?... Qui peut subsister devant toi ? »... Et Dieu lui-même dit à son peuple : « À qui me comparerez-vous, que je lui sois pareil ? » car il est le « Tout autre, puissant, majestueux, mystérieux et terrifiant, mais en même temps attrayant ».
Le choc
Mais à travers ce choc d'un Dieu si humain, et si différent de nous, l'idée la plus profonde qu'on puisse avoir de Dieu commençait à pénétrer l'humanité : Dieu à la fois Tout-Autre que nous et Tout-Proche, l'Inaccessible et l'Intime, celui dont la grandeur fait trembler, l'ami le plus aimant.
Jamais nous ne connaissons Dieu aussi bien que, lorsque nous allons, à la fois et aussi loin que possible, à l'infini s'il se peut de chacun de ces côtés : Immensité de Dieu, Intimité de Dieu.
Il dépasse tout, tout ce qui est possible, tout ce qui est imaginable. Il est au-delà de tout, et Il est le plus proche de nos proches, plus intime et plus présent à chacun de nous que notre propre âme peut l'être à notre corps.
Et c'est cela que Dieu a fait comprendre de Lui, dès qu'Il a voulu mettre l'humanité sur le chemin qui mène à Lui.
Réfléchissez
Ne passez pas trop vite. Ne dites pas trop facilement : « C'est évident ». Car la plupart des idées fausses que l'on a sur Dieu viennent de ce que l'on a oublié l'un ou l'autre de ses deux aspects inséparables : le Très-Haut, le Tout-Proche.
Quand on réduit Dieu à être distributeur de faveurs : bien vendre ma vache malade ou mon auto esquintée, faire réussir à l'examen le candidat paresseux, c'est qu'on a oublié le Dieu très grand qui attend de nous autre chose que des cierges intéressés ou des prières de circonstance.
Et quand on ne prie plus, allant raconter partout que Dieu nous a laissé tomber et qu'il ne s'occupe pas de nous, et : « Après tout qu'est-ce que cela peut bien lui faire ? » c'est qu'on ne comprend pas le Dieu très intime et tout présent. Et les deux aspects de Dieu ne font qu'un, car s'il peut être si intime à chacun, c'est parce qu'il est infiniment grand : celui qui sait à chaque seconde le nombre des grains de sable de la mer, comment nous oublierait-il ? Celui qui donne l'existence à chaque être, le soutenant littéralement au-dessus de l'abîme du néant, comment ne serait-Il pas présent à celui qu'Il engendre ainsi sans arrêt ?
Dieu, tu es, et tout ce qui est vient de toi
Oui, cet oiseau qui passe, il est, et le chant de cet oiseau plus léger encore que lui, ce chant aussitôt éteint que né, il est aussi.
Ça n'est pas du néant, et la terre la plus compacte, le désert le plus stérile, c'est des milliards de milliards de grains de sable, c'est une autre manière de ne pas être rien. Ils sont, et moi je suis, et toi qui lis ceci, arrête-toi un instant et réfléchis à cette merveilleuse qualité : tu es arrivé à l'existence. Des milliards d'hommes auraient pu se succéder, mais toi, tu aurais pu ne pas être. Un autre aurait pu être à ta place, un autre qui t'aurait peut-être ressemblé comme un frère jumeau, mais qui ne serait pas toi et toi, tu serais resté néant, une possibilité, mais à qui aurait manqué l'essentiel : être, exister.
Une richesse inépuisable
Et comprends que cette existence, c'est plus large encore que la vie : je suis, mais une pierre, elle est, cette neige, elle est aussi.
Ainsi, je découvre peu à peu l'immense richesse que représente cette naissance de chaque chose, de la plus insignifiante et la plus éphémère à la plus durable et à la plus haute : je suis, elle est...
Et cette naissance se poursuit, mon être dure : le même pourtant à chaque instant renouvelé. Je regarde les photos de mon enfance, ce bébé souriant, l'enfant sérieux devant l'objectif, le jeune qui se croit quelqu'un, et moi maintenant aux cheveux blancs et au visage lourd, c'est le même être et pourtant si différent d'apparence qu'un ami d'école ne me reconnaîtrait plus...
Une fragilité douloureuse
Et tout d'un coup, mon expérience aboutit à cette pensée : « Je ne serai pas toujours ». Ce verbe être que je conjugue au présent depuis ma naissance, un jour, peut-être ce soir, peut-être demain, on le dira de moi au passé : « Il était... il a été... » Peu importe ce que l'on ajoutera : « Il était ceci... ou cela... bon ou mauvais, désagréable ou aimable ». On finira par ces mots : « Et maintenant, il n'est plus... »
Ainsi mon être, ma qualité merveilleuse qui m'a accompagné, plus que cela, qui m'a constitué dans toutes mes fibres, que je dorme ou que je veille, que je pleure ou que je rie, mon être, c'est quelque chose de fragile, de menacé. Sorti du néant, il y retourne. Et toute existence, même celle des montagnes les plus éternelles, un jour ne sera plus : les étoiles et la voie lactée, un jour, dans dix ou cent ou mille milliards d'années ou de siècles, peu importe, seront retombées dans le néant.
Mais quelle est donc cette qualité sans laquelle rien n'est, par qui tout est, et qui, en même temps s'écoule comme le sable dans la main d'un enfant qui s'efforce de le retenir et qui constate : « Il n'y en a plus... »
L’extraordinaire verbe être
C'est que l'être ne peut se conjuguer pour nous, créatures, qu'avec le verbe avoir. Ce n'est pas : je suis, mais j'ai l'être.
Je l'ai, mais comme quelque chose que je puis perdre. Je dis : « J'ai la vie », et il ne me viendrait pas à l'idée de dire : « Je suis la vie ». J'ai l'être, j'ai l'existence, mais comme un cadeau reçu, qui s'use, qui s'amenuise.
Le soleil n'aura plus d'être un jour, l'univers lui-même ne sera plus. Et pourtant, en même temps, ce n'est pas une illusion : je suis ! Un néant ne tient pas un stylo à la main. Oui, je suis et en même temps je ne suis pas plus l'être que la vie, puisqu'un jour je ne serai plus. Tout ce que je suis, je l'ai ; c'est-à-dire, je l'ai reçu. Tout ce que je suis m'est donné.
Alors je fais le bilan : je suis, mais je ne suis pas le « Je suis ». J'ai. Mais d'où me vient donc cette qualité, passagère mais si réelle ? Et sans laquelle rien n'est... ?
Dieu, source de l’être
Oui, l'existence je l'ai, mais je ne la tiens pas de moi-même. Sinon je ne consentirais jamais à la lâcher. Je la tiens d'un autre qui me la prête, qui me la donne, me la communique.
Je ne suis pas plus l'existence que le miroir pourtant tout illuminé n'est la lumière lui-même : il l'a, cette lumière, il la reflète, mais la source de la lumière, elle est ailleurs que dans le miroir, elle est dans le soleil ou dans la lampe qui eux sont la lumière.
Ainsi Dieu par rapport à tout ce qui existe est comme le soleil par rapport à tout ce qui est éclairé. La source de la lumière, c'est le soleil.
La source de tout ce qui existe, c'est Dieu. Tout ce qui est éclairé à la minute présente le doit au soleil qui lui donne la lumière.
De même tout ce qui existe le doit à Dieu qui lui donne à la minute même cette qualité unique : exister...
Dieu lui ne dit pas : J'ai l'Être, l'Existence, la Vie, mais « JE suis l'Être, l'Existence, la Vie », et : « C'est Moi qui les donne à tout ce qui existe ».
Dieu est amour
Dieu est le Tout-Autre, mystérieux et terrifiant, mais en même temps le Tout-Proche, attrayant et attirant.
En s'approchant de Lui, l'homme est saisi d'un frisson, il éprouve violemment le sentiment de son néant, comme le plongeur qui va se jeter de haut dans la mer, comme le parachutiste au bord de la trappe d'où il va sauter en plein vide.
Devant Dieu, Abraham se sent « poussière et cendre », Moïse se cache dans un creux de rocher comme le bédouin au milieu de la tempête de sable, Élie voile son visage d'un pan de son manteau.
Le soudeur à l'arc ne peut regarder la flamme sans que ses yeux n'en soient atteints, les savants atomistes sont brûlés par les radiations invisibles. Dieu est plus brûlant que toutes les flammes et tous les rayons : « Nul ne peut me voir et demeurer en vie », dit Dieu à Moïse (Exode, 33, 22).
Nous rapetissons toujours cette grandeur terrifiante de Dieu et pourtant devant ce gouffre inépuisable de grandeur une terreur sacrée s'empare de l'homme : « Où me cacherai-je, Seigneur, loin de ta face ? »
Cela l'homme d'aujourd'hui l'oublie quand il demande des comptes à Dieu. Mais Dieu lui-même lui répond :
À qui pourriez-vous me comparer et m'assimiler ?
À qui me feriez-vous semblable et comparable ?
Je suis Dieu sans égal,
Dieu qui n'a pas de pareil
(Isaïe, 46).
On ne traite pas Dieu comme un copain ou un domestique chargé de faire nos commissions. Paraître devant Lui est infiniment redoutable.
Certaines époques comprennent cela mieux que nous, mais peut-être le deuxième aspect de Dieu (qui nous est plus familier) leur échappait-il un peu. Car le Redoutable est aussi et en même temps l'Infiniment Tendre.
L'amour mutuel d'un homme et d'une femme, aussi abîmé soit-il parfois, reste l'expérience la plus haute que l'humanité puisse éprouver de chaleur, d'intimité, de tendresse et de confiance dans l'abandon.
Or, Dieu s'est servi des comparaisons les plus fortes pour enseigner et témoigner le choix unique qu'il a fait de nous, et la tendresse la plus affectueuse de son amour : Dieu a comparé son amour pour nous à l'amour d'un homme pour la femme « de sa vie », même infidèle, à l'amour d'un père pour le fils de « sa propre chair ».
Où trouver une plus belle déclaration d'amour ?
Je te fiancerai à moi pour toujours,
Je te fiancerai dans la tendresse et dans l'amour,
Je te fiancerai à moi dans la fidélité
Et tu me connaîtras
Dans une réciprocité de tendresse
(Osée, 2).
À ces mots d'amour Dieu ajoute, comme un homme attentionné, ses plus beaux cadeaux :
Je te donnai des vêtements brodés, des chaussures de cuir fin et un manteau de soie.
Je te parai de bijoux, je mis des bracelets à tes poignets et un collier à ton cou.
Je mis des boucles à tes oreilles, et sur ta tête un splendide diadème.
Tu étais parée d'or et d'argent, vêtue de lin fin, de soie et de splendides broderies. La fleur de farine, le miel, l'huile étaient ta nourriture.
Tu devins de plus en plus belle et tu parvins à la royauté
(Ézéchiel, 16).
Mais la bien-aimée est indigne : elle pousse l'infidélité et l'inconscience jusqu'à offrir à des amants les cadeaux dont elle a été comblée.
Malgré l'inconstance de l'humanité, Dieu reste fidèle :
Comment t'abandonnerais-je ?
Mon cœur en moi se retourne,
Toutes mes entrailles frémissent,
Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère,
Je ne te détruirai pas...
Car je suis Dieu et non pas homme :
Je suis le Saint et je n'aime pas à détruire...
(Osée, 11).
Reviens que nous retrouvions le bonheur... (Osée, 14).
À l'amour véhément d'un homme dévoré de chagrin, Dieu ajoute toute la force recueillie d'un père pour ses enfants :
Quand Israël était enfant, je l'aimais,
Mais plus je les appelais, plus ils s'écartaient de moi.
Moi, pourtant, je leur apprenais à marcher.
Je les pressais de mes bras.
Et ils n'ont pas compris que je prenais soin d'eux,
Je les menais avec des liens d'amour,
J'étais pour eux comme celui
Qui élève un nourrisson tout contre sa joue.
Je me penchais sur lui et lui donnais à manger...
(Osée, 11).
Mais à l'amour paternel il manque encore quelque chose :
Une femme oublie-t-elle l'enfant qu'elle nourrit ?
Cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ?
Même s'il s'en trouvait une pour l'oublier, moi je ne t'oublierai jamais...
(Isaïe, 49).
Violence de l'époux délaissé, attention intarissable du père, patience toujours en éveil de la maman, ainsi Dieu a-t-il enfoui, au cœur même de nos sentiments d'homme, la qualité de sa force, de sa tendresse, de son intimité avec nous.
Le Redoutable est le plus proche, le plus aimant. C'est l'inépuisable mystère de Dieu que cette alliance d'altitude inaccessible et d'intimité inconcevable.

Jacques Loew, Dans la nuit j’ai cherché