mercredi 4 octobre 2017

En méditant... François Desplanques, Ô mort magnifique !


En cette fin d'année
Comment ne pas penser à la fin de ma vie ?
En effeuillant mon calendrier dans les douze mois passés,
J'ai fait tomber la feuille où est inscrite la date de ma mort. Et... je n'ai pas frissonné.

I
Seigneur, je Vous demande une grâce
Une grande grâce :
Celle de ne pas avoir peur de mourir, au contraire !
Celle de regarder ma mort comme un jour de fête,
Comme le plus beau jour de ma vie.
Seigneur, donnez-moi la grâce d'une mort joyeuse,
Et même, si j'osais,
La grâce d'une mort magnifique
Les apôtres allaient joyeux au-devant des fouets du Sanhédrin.
Saint André saluait de loin la croix de son supplice :
Salut, ô Croix charmante !
Sainte Perpétue et sainte Félicité, pour aller au martyre, s'étaient coiffées comme pour le bal.
Les Saint-Cyriens de Charleroi mirent leur casoar et leurs gants blancs pour charger les mitrailleuses ennemies.
Et Vous demandez, Seigneur, à vos Evêques, tout simplement, de mourir magnifiquement.
Je ne suis ni Évêque
Ni apôtre, ni martyr, ni Saint-Cyrien.
Je ne suis qu'un petit chrétien, sans casoar, sans décorations ni galons.
Je ne suis même qu'un enfant prodigue.
Et cependant, quand même, j'ose Vous demander
De mourir magnifiquement.
Oh ! peu importe le décor !
Champ de bataille, ou chambre quelconque.
Jour d'émeute, adossé au mur,
Ou jour quotidien, couché dans mon lit,
Chez moi ou à l'hôpital.
La beauté de la mort n'est pas sur la scène.
Sa magnificence est d'ordre invisible.
C'est le secret de l'âme splendide,
Même quand le corps n'est plus qu'une défroque exténuée.
Une âme chrétienne
Que Vous avez poursuivie Vous-même, ô Fils de Dieu,
Où, jusque dans les broussailles de ses péchés, Vous avez laissé vos traces et vos parfums ;
Où Vous êtes venu en avant-garde,
Où Vous êtes encore,
Ô glorieux messager d'une gloire plus brillante !
Ô premier Feu d'une aurore éblouissante !
Ô Prélibation d'un ineffable Amour !
Comment n'aurait-elle pas faim et soif, cette âme, de vos promesses et de Vous-même,
Ô Promesse entre toutes, excitante !
Bien-Aimé obscur et silencieux
Oh ! comme Vous aiguisez mon espoir et ma soif !
Vous me faites tellement comprendre
Que je ne suis que le commencement d'une créature que Vous allez faire plus belle,
Et que, le meilleur de moi-même, c'est Vous qui le tenez en réserve.
Je sens que tout, tout est derrière cette frêle cloison
De ma dernière minute ici-bas :
Ma tête, mon cœur, ma vie, dont je n'ai qu'un sordide acompte.
Petit être rabougri, à peine ébauché, comment n'appellerais-je pas à grands cris ma croissance, et mon sommet et ma couronne ?
Comment, Seigneur, voulez-vous empêcher qu'une ébauche ne crie vers sa plénitude ?
Ô Plénitude
De Vérité, de Lumière et d'Amour !
Comme un pauvre qui se vide de tout pour être rempli davantage, et qui laisse  maison, ville, pays, famille, métier, son corps lui-même et ses péchés.
Comme un prodigue qui quitte son péché et qui bondit vers sa Maison, parce qu'il sent bien que, derrière la porte, il y a des bras ouverts.
Je frappe à votre porte en cette dernière minute ;
Pour la dernière fois je mendie.
Et ce n'est plus un petit sou
Ce ne sont plus des miettes, un croûton que j'attends,
Ou des restes.
Mon audace est à la mesure même de votre richesse, de votre Amour.
Je sais que Vous aimez les mendiants affamés
Qui veulent toute la table.
Je serai donc ce mendiant qui veut tout avoir, parce qu'il Vous veut, Vous, tout entier.
Ô Portes Eternelles, ouvrez-vous !
Laissez passer le mendiant de Dieu !

II
Dans une chambre modeste
Aux rideaux tirés, tous sont à genoux
Autour d'un chrétien étendu dont on entend les souffles courts et précipités.
Comme l'esprit a du mal à se désincarner !
Ce travail de l'enfantement de la Mort est aussi laborieux, aussi douloureux que celui de la vie.
Comme il faut suer pour mourir !
Doucement, sur le front du moribond, une main passe avec un linge qui boit les gouttes.
Et c'est le dernier souffle.
Votre Serviteur Paul, Jacques, ou Louis nous a quittés, Seigneur,
Tandis qu'on récitait les Litanies des Saints.
Deux ou trois jours après
L'enterrement de 3ème classe, au village.
Quelques hommes suivent, qui parlent du prix du blé ou du maïs ou des bestiaux.
Quelques femmes en noir, qui pleurent.
Dix à quinze mètres de cortège.
Un chantre avec un surplis jeté comme un sarrau sur son pantalon,
Qui chante faux, appuyant les versets du
Miserere aux rauques poussées d'un bugle enrhumé.
Tristesse. Moins de la mort elle-même que de la médiocrité dont on l'entoure, que de la vulgarité des pensées où baigne ce cercueil.
Toujours les mêmes apparences mesquines sur...
Un événement grandiose
Vous qui pleurez, vous qui l'aimiez, vous qui, après l'Extrême-Onction, récitiez avec tant de ferveur les Prières des Agonisants,
Autour de ce chrétien bien confessé et bien
nourri et bien sanglé pour le Retour,
N'avez-vous pas entendu une voix – une voix humaine sans doute – mais qui semblait prêtée à
Quelqu'un de lointain et de plus grand, la voix d'un chef qui commande, douce, ferme, et peut-être – après tout – divine.
Cette voix disait :
Pars, âme chrétienne !
Au nom du Père tout-puissant qui t'a créée,
Au nom du Fils de Dieu vivant qui a souffert pour toi sa passion,
Au nom du Saint-Esprit qui t'a remplie de sa grâce,
Que le cortège des Anges t'accompagne !
Que le Sénat des apôtres qui doivent juger Israël vienne à ta rencontre !
Que l'armée rayonnante des martyrs marche avec toi !
Que la troupe blanche et lumineuse des confesseurs t'environne !
Que le chœur des Vierges joyeuses te reçoive !
Que l'assemblée des patriarches t'ouvre le sein de la paix bienheureuse !
Et que le Christ Jésus t'apparaisse enfin, doux et radieux, comme aux joins de fête, pour te donner ta place au milieu des élus !
N'est-ce pas l'entrée d'une reine
En sa capitale, avec de la douceur jointe à la magnificence ?
Et ce n'est pourtant qu'un petit chrétien qui part... et dans quel accoutrement !
Mais qui a voulu se perdre pour gagner son Christ et son Dieu et qui lui a dit simplement :
Mon Père, j'ai péché contre le ciel et contre Vous.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et tout le ciel s'est précipité pour le recevoir.
Ô Mort magnifique du chrétien !


François Desplanques, sj, in Le Christ sur tous nos chemins